"Le premier rapport du Secrétaire général des Nations Unies sur la Mission des Nations Unies pour l'appui a la justice en Haiti (MINUJUSTH) a fait l'objet de débats au Conseil de sécurité ce mardi 03 avril 2018. Le Représentant Permanent d'Haiti aupres de l'Organisation, l'Ambassadeur Denis REGIS, a fait valoir a cette séance les vues et les observations du Gouvernement de la République d'Haiti sur ce rapport et, plus largement, sur la relation Haiti-ONU. HPN publie dans son intégralité l'intervention du diplomate haitien".
Allocution de Son Excellence Monsieur Denis RÉGIS Ambassadeur, Représentant Permanent de la République d’Haïti au Conseil de sécurité des Nations Unies à la 8220e séance du Conseil sur le Rapport S/2018/241 du Secrétaire général concernant la MINUJUSTH
New York, le 3 avril 2018
Vérifier au prononcé
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général-Adjoint,
Excellences,
Mesdames, Messieurs
1. Je voudrais, tout d'abord, remercier le Président du Conseil de sécurité des Nations Unies d'avoir invité le Gouvernement de la République d'Haïti à faire valoir ses vues et observations sur le premier Rapport, S/2018/241, du 20 mars 2018 du Secrétaire général concernant la MINUJUSTH.
Monsieur le Président,
2. Le 15 octobre dernier, une page était tournée. Après avoir dressé le bilan de ses treize années de présence en Haïti - avec ses réussites mais aussi avec ses zones d'ombres -, le Conseil de sécurité décidait de mettre fin au mandat de la MINUSTAH à la lumière des "avancées majeures" enregistrées au regard du triptyque "Sécurité et stabilité, édification de l'État de droit et promotion des droits de l'homme". En fait, la création de la Mission des Nations Unies pour l'appui à la justice (MINUJUSTH) consacrait une situation qui ne correspondait ni de près ni de loin à celle de 2004, laquelle avait été assimilée par le Conseil à une "menace contre la paix internationale dans la région". Aujourd'hui, un nouvel ordre de choses a émergé en Haïti.
3. Le Gouvernement haïtien se réjouit que le Secrétaire général ait souligné l'évolution positive de la situation du pays depuis les quatorze derniers mois, en mettant très justement en relief les "progrès accomplis par le Président Jouvenel Moise dans la mise en œuvre de son programme de réformes visant à promouvoir le développement durable" (paragraphe 2).
4. En effet, Haïti est aujourd'hui en paix. Dans le sillage des élections démocratiques de 2017, la stabilité institutionnelle et l'autorité de l'État ont été restaurées ; les acquis démocratiques sont consolidés ; les institutions prévues par la Constitution fonctionnent régulièrement. Dans le cas du Conseil électoral permanent, le processus avance ; les droits de la personne sont respectés et garantis. C'est la nouvelle réalité d'un pays qui est certes confronté à des défis de grande ampleur, mais qui jouit d'un environnement sûr et stable que tout observateur de bonne foi doit évidemment reconnaître.
5. Dans ce contexte de stabilité et de "certitude politique" retrouvée, des résultats significatifs ont déjà été obtenus dans divers secteurs clés, qu'il s'agisse de l'amélioration du climat de sécurité, des avancées en matière de bonne gouvernance, du respect de la primauté du droit et de la relance du processus de développement. Parmi les indicateurs de progrès mentionnés par le Secrétaire général dans le Rapport, il me plait de relever:
- la très nette diminution de la criminalité violente - qui a chûté de près de 50% par rapport à la même période de l'année précédente ;
- le renforcement de la lutte contre la corruption dans l'administration, y compris dans le cadre du dossier Petro Caribe, dont la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif en a été officiellement saisie par le Parlement, conformément à la Constitution, aux fins que de droit (paragraphe 6) ;
- la priorité accordée par le Gouvernement et le Parlement aux réformes institutionnelles visant à renforcer l'Etat de droit et, notamment, à moderniser le secteur de la justice, y compris le système pénitentiaire. A cet égard, l'adoption du nouveau Code pénal ainsi que du nouveau Code de procédure criminelle figure en bonne place sur la liste des priorités de l'agenda législatif ;
- la mise en place en cours ou le rétablissement d'institutions clés prévues par la Constitution ;
- la nomination, selon les formes prévues par la Charte fondamentale en vigueur, d'un Protecteur de la citoyenne et du citoyen ;
- la professionnalisation accrue et le renforcement des capacités de la Police nationale d'Haïti (PNH).
6. A cela s'ajoute, au chapitre des réformes structurelles, l'initiative des États généraux sectoriels de la nation lancée par le Chef de l'État, qui vise à promouvoir un dialogue politique inclusif à l'échelle nationale dans la perspective du renouvellement nécessaire du contrat social et du redressement de l'économie haïtienne, parallèlement à la stratégie de la Caravane du Changement dont les résultats visent à désenclaver les régions, à accroître la participation des couches rurales de la population à la transformation de leur destin et de leur avenir, et à favoriser un développement endogène axé sur la production nationale.
7. Le Gouvernement est conscient du chemin qui reste encore à parcourir. Il entend poursuivre dans la voie des réformes engagées. Il a pris note des observations formulées dans le Rapport, des conclusions et des recommandations émises. Il est sensible aux questions relatives à l'accès à la justice, au renforcement du système judiciaire ou au non respect des droits de la personne, dont la détention provisoire prolongée et la surpopulation carcérale en sont la déplorable manifestation. Des réponses sont en train d'être apportées. Ces problèmes sont la résultante de décennies d'abandon, des handicaps structurels et des goulots d'étranglement que les pouvoirs publics s'évertuent à corriger progressivement, avec constance et méthode. Il s'agit, de toute façon, d'une œuvre de longue haleine, qui appelle une action continue et persévérante sur la longue durée. En ce sens, le Gouvernement de la République d'Haïti croit qu'une mission d'assistance technique au renforcement de la justice représente, dès lors, une alternative plus en phase avec l'évolution de la situation sur le terrain.
8. Le Gouvernement a pris note des préoccupations soulevées en lien avec certains cas isolés d'abus de droits de l'homme perpétrés par des représentants des forces de l'ordre. L'État de droit ne se divise pas. Les deux incidents signalés dans le Rapport - à l'instar de tous incidents imputables à des instances étatiques - font l'objet de la plus sérieuse attention de la part des autorités compétentes. Les responsabilités une fois établies, la justice suivra son cours. En attendant l'aboutissement du processus judiciaire, les agents publics concernés font l'objet des sanctions administratives y afférentes.
9. Conformément aux engagements souscrits par la République d'Haïti dans le cadre des traités internationaux ou régionaux auxquels elle est partie, le Gouvernement haïtien ne ménage aucun effort pour assurer le plein respect des libertés essentielles et des droits fondamentaux par toutes les institutions de l'État, sans exception. La nomination, en octobre dernier, du Protecteur de la citoyenne et du citoyen participe de cette volonté d'inscrire dans les faits la promotion, la protection et la défense des droits de la personne. Il va de soi que le plan d'action de cette structure englobe la mise en œuvre des différentes recommandations formulées par les organes compétents de l'ONU en la matière, notamment le Conseil des droits de l'homme.
Monsieur le Président,
10. Le Gouvernement se félicite hautement des avancées majeures de ces derniers mois, en particulier la mise en œuvre d'une disposition légale qui lui fait obligation de contribuer financièrement à l'institutionnalisation de la vie politique dans le pays par l'octroi d'une contribution financière aux partis politiques légalement reconnus et qui peuvent se prévaloir d'un certain nombre d'élus au Parlement et dans les collectivivités territoriales. Accueillie favorablement par les parties prenantes, cette mesure à laquelle ont souscrit la majeure partie des formations politiques, a pour objectif de les doter des ressources nécessaires pour leur modernisation.
11. Les acquis des derniers mois en matière de stabilisation doivent, bien entendu, être consolidés dans le cadre d'une coopération élargie, plus en phase avec les réalités d'aujourd'hui et les besoins réels du pays. A cet égard, le Gouvernement tient à réitérer toute l'importance et toute la valeur qu'il attache au mandat que le Conseil a confié à la MINUJUSTH, à savoir "aider le Gouvernement haïtien à renforcer les institutions de l'État de droit en Haïti, appuyer et développer la Police nationale d'Haïti, et suivre la situation en matière de droits de l'homme".
12. La MINUJUSTH, telle que nous la concevons et tels que ses paramètres ont été clairement définis, s'inscrit dans une perspective différente de celle de la mission précédente, axée sur la stabilisation. Elle se veut, avant tout, un mécanisme d'accompagnement et de consolidation des acquis. Des lors, son horizon temporel ne peut qu'être limité. Le Gouvernement tient compte, par conséquent, de la stratégie de retrait proposée par le Secrétaire général, selon un calendrier qui devra être établi de concert par les deux parties, en fonction de jalons et de points de repères convenus. De même, ainsi que le Gouvernement l'a fait valoir, il adhère au principe d'une évolution de la Mission vers une présence de l'ONU s'inscrivant dans un cadre de renforcement des capacités en guise de celui du maintien de la paix.
13. Comme l'indique d'ailleurs la Résolution 2350 (2017), la MINUJUSTH a essentiellement une vocation "d'assistance technique" au renforcement des institutions haïtiennes garantes de l'Etat de droit - au premier chef le système de justice - étant entendu que c'est aux institutions nationales qu'incombe la responsabilité première du développement et de tous les aspects de la gouvernance, qu'il s'agisse de la sécurité, de la justice, de la protection des droits de la personne, de la lutte acharnée contre la corruption sous toutes ses formes et dans les composantes de la société.
14. C'est dans cet esprit que le Gouvernement haïtien souhaite la poursuite de la coopération entre Haïti et l'ONU, dans le cadre d'un partenariat fort, qui favorise réellement de "nouvelles avancées dans tous les secteurs de l'État de droit", ainsi que la promotion de tous les droits de la personne - civils et politiques, économiques, sociaux et culturels - tout en contribuant puissamment à la réalisation des objectifs de développement durable du pays. Rien de tout cela ne sera possible sans le respect scrupuleux des obligations réciproques et en dehors d'un authentique esprit de "solidarité, de respect mutuel et de confiance", comme l'a souligné fort à propos le Secrétaire général dans son Rapport.
Monsieur le Président,
15. La pérennisation de la paix et le développement durable vont de pair. Par conséquent, pour asseoir durablement la stabilité en Haïti, il est essentiel de faire progresser simultanément la consolidation de l'Etat de droit, la promotion des droits de la personne, la reconstruction et le développement social et économique du pays. Le Gouvernement de la République d'Haïti canalise tous ses moyens et concentre toute son énergie en vue de relever les défis urgents qui se posent sur le plan humanitaire et de s'attaquer aux problèmes de fond liés à l'extrême pauvreté et à la précarité. Il réserve, comme toujours, le meilleur accueil à tout appui de ses partenaires techniques et financiers comme les y invitent la Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide au développement de 2005 et le Programme d'action d'Accra de 2008. Voila pourquoi le Gouvernement renouvelle son souhait d'un accompagnement de la communauté internationale en vue de favoriser les conditions d'une stimulation vigoureuse de la croissance, de la réduction de la pauvreté et de l'atteinte des objectifs de développement durable à l'horizon 2030.
16. Le Gouvernement a accueilli avec enthousiasme l'initiative de la "Retraite sur la transformation d'Haïti" lancée par le Secrétaire général. Il espère ardemment que cette initiative prometteuse portera les fruits escomptés, et qu'elle ouvrira de nouvelles perspectives pour le financement du développement en Haïti, notamment celui des infrastructures essentielles qui lui font tant besoin.
17. Je ne saurais passer sous silence l'épidémie de choléra, dont tout le monde connait les terribles conséquences, et qui continue de sévir malgré les progrès sensibles enregistrés récemment dans la prévention et la lutte contre ce fléau. Ma délégation souhaite particulièrement que la nouvelle initiative du Secrétaire général permette enfin la concrétisation des deux volets de la Nouvelle approche des Nations Unies contre le choléra. Le Fonds d'affectation spéciale, rappelons-le, n'a pu recueillir jusqu'à présent qu'un peu plus de 7 millions de dollars. Ce qui est nettement insuffisant au regard des 400 millions de dollars requis. Le Gouvernement haïtien en appelle à un sursaut de bonne volonté et à l'exploration de sources de financement innovantes et prévisibles, pour la constitution de ce Fonds tel que prévu. De telle sorte que les victimes, leurs proches et leurs ayants-droit puissent recevoir la juste compensation qui leur est due et que puissent être aménagées les infrastructures sanitaires, d'eau potable et d’assainissement, reconnues comme indispensables à l'élimination durable du choléra et d'autres maladies hydriques.
18. Je tiens, pour terminer, à assurer aux membres du Conseil les meilleures dispositions du Chef de l'État, Son Excellence Jovenel Moise, du Premier Ministre, le Docteur Jack Guy Lafontant, et du Gouvernement haïtien, à approfondir le dialogue et à raffermir les liens multiples de coopération avec le Conseil de sécurité, le Secrétariat et toutes les instances de l'ONU en vue de nouvelles avancées vers la consolidation de l'Etat de droit, le renforcement de la justice et la promotion des droits de la personne humaine, qui sont au cœur du mandat de la MINUJUSTH. Les autorités haïtiennes continueront d'œuvrer avec constance et détermination afin que cette coopération diversifiée, à laquelle elles attachent le meilleur prix, puisse tenir ses promesses et répondre pleinement aux aspirations nationales du peuple haïtien et aux attentes communes.
Je vous remercie.